Communication
Communication de Madame Muriel Petit-Konczyk, Maître de conférences HDR, Lille 2
Étude d’une série de fusions acquisitions : le cas de Chatillon-Commentry 1840-1940
L’abondance de la littérature financière et stratégique publiée depuis plus de 20 ans sur les fusions-acquisitions souligne l’importance cruciale de ces points d’articulation dans la vie et survie des entreprises. Des travaux théoriques et empiriques permettent aujourd’hui de mieux cerner leurs motivations très diverses et leurs effets. Les motifs économiques traditionnels des fusions sont bien connus, il s’agit d’éliminer un concurrent, d’accélérer sa croissance, de prendre des parts de marché, de diversifier sa production (conglomérat), de rechercher des synergies. Mais des facteurs organisationnels commencent à être familiers pour expliquer dans le déclenchement de telles opérations : les interactions entre les individus des réseaux d’affaires, la pression de la gouvernance. Enfin les cycles des marchés financiers ne sont pas neutres avec des fenêtres d’opportunité qui offrent périodiquement des ressources financières abondantes.
Les fusions d’entreprises ne sont pas des phénomènes nouveaux, elles jalonnent l’histoire et méritent toute l’attention du chercheur. L’objectif de notre article est d’analyser en profondeur la série de 5 fusions-acquisitions réalisées sur une période de 120 ans par un des grands groupes sidérurgiques français : Châtillon Commentry Neuves Maisons, de 1820 à 1940. Le groupe va passer d’une petite association régionale de maîtres de forges à la fin des guerres napoléoniennes à l’un des trois groupes français les plus importants au moment de la guerre 1914-1918 tout en restant centré sur son métier d’origine. Nous analysons quand et pourquoi les fusions se déclenchent et leurs effets pendant les années qui suivent ces évènements successifs.
Le papier présente chronologiquement les 5 fusions-acquisitions, en décrivant les circonstances économiques, stratégiques, organisationnelles et financières dans lesquelles l’opération se produit. Nous utilisons les chiffres comptables pour mesurer les effets de l’opération. Une nouvelle série de données de première main comptable incluant les chiffres d’affaires et le résultat d’exploitation de toutes les filiales du groupe de 1863 à 1940 a été collectée dans les « inventaires » annuels du fonds d’archives du groupe.
Dans la première partie nous établissons une carte de France localisant les 5 fusions-acquisitions du groupe français aux différentes dates entre 1820 et 1940. Les racines les plus anciennes du groupe sidérurgique se trouvent dans la région du Châtillonnais, une région de l’Est de la France entre la Champagne et la Bourgogne. Mais c’est après la Révolution Française et les guerres napoléoniennes que le groupe Français va établir des positions dans plusieurs régions françaises au centre, au Sud, à L’Est et au Nord pour devenir le troisième groupe français au moment de la guerre 1914-1918.
La seconde partie montre que c’est dans le Châtillonnais que va émerger à la fin des années 1820, le premier noyau sidérurgique du groupe grâce à la fusion de petites forges régionales. Dans cette région couverte de forêts, riche en minerai de fer, où coulent de nombreuses rivières, les moines Cisterciens avaient établi, dès le XIIème siècle, des forges au sein de leurs abbayes, et leurs « filles » se développeront partout en Europe ensuite. Après les transferts de propriété du clergé vers des petits producteurs, ces derniers doivent se regrouper pour faire face, à la fin des guerres napoléoniennes, à la menace d’un monopole de production local qui aurait pu naître des investissements colossaux d’un Maréchal d’Empire, le Duc de Marmont, dans la nouvelle technologie des forges « à l’anglaise ».
Dans la troisième partie nous montrons que le contexte des nouveaux marchés des Compagnies de chemins de fer français entraine la fusion du groupe du Châtillonnais avec le groupe de Commentry situé dans le centre de la France. Cette région du bourbonnais disposait d’un riche bassin houiller mais après la révolution française restait enclavé au centre de la France : faute de pouvoir écouler sa production, le charbon était utilisé sur place pour produire du verre. La construction et l’achèvement du canal de Berry en 1840 règle le problème de transport nécessaire à la production de rails et pièces de chemin de fer. Mais la croissance du futur groupe ne peut être envisagée qu’avec un apport d’argent frais et des garanties que peut apporter le groupe plus ancien des maîtres de forges du Châtillonnais. Les autorités municipales de Commentry ont stimulé cette fusion, dès lors que le canal de Berry a été construit, il fallait mettre en valeur les ressources minières et inciter pour cela les frères Rambourg de Commentry, propriétaires des mines, à s’associer aux maîtres de Forges lorrains.
Dans la quatrième partie, nous analysons une nouvelle acquisition du groupe dans le Sud de la France en 1878. Le groupe Forges de Châtillon Commentry entreprend la construction d’une usine située à Beaucaire non loin d’Arles. A l’époque, le réseau ferroviaire français est achevé, la sidérurgie française est en surcapacité et le ministre Freycinet lance un programme de relance incluant la construction des chemins de fer coloniaux et régionaux ainsi que les ports. Dans ce contexte, un site industriel dans la Sud de la France permettait de bénéficier du fer Algérien et des contrats avec les colonies. Nos données comptables montrent que l’effet de Beaucaire sur le groupe est très faible, pendant 3 ans le site soutient le chiffre d’affaires du groupe mais ne peut empêcher la chute vertigineuse et continue des affaires jusqu’au début des années 1890 et n’a que très peu d’impact sur le résultat d’exploitation. Notons qu’au cœur de cette fusion résidait un réseau d’affaires dont certains membres tiraient bénéfice du commerce en Méditerranée.
Dans la cinquième partie nous analysons la fusion du groupe avec des entreprises de l’Est de la France, Neuves-Maisons en 1898. Les forges de Châtillon Commentry trouvent un nouveau souffle au début des années 1890 avec l’armement dans leur usine Saint-Jacques à Montluçon, non loin de Commentry. La force de la reprise à la fin des années 1890 incite les actionnaires des forges de Châtillon Commentry à interroger les dirigeants sur l’utilisation future du cash en excès. Sous cette pression le groupe achète les usines de Neuves Maisons et de Champigneulles situées dans une région où le minerai de fer, adapté à la technologie Martin, est abondant. Grâce à nos données comptables nous mesurons non seulement un effet-taille du chiffre d’affaires propulsé grâce à la production des hauts fourneaux de Neuves Maisons mais aussi du résultat d’exploitation qui décolle également. Au début de la première guerre mondiale, le Groupe Châtillon Commentry Neuves Maisons est le 3ème groupe sidérurgique français coté à la bourse de Paris derrière la solide firme du Creusot et des forges et aciéries de la Marine d’Homécourt, qui se partagent à trois les contrats d’armement pour le gouvernement français.Dans la sixième partie nous abordons l’absorption en 1828 du groupe des Aciéries de France dont le site principal site industriel est situé dans le Nord de la France. La cible avait été fondée en 1881 par un belge Dorlodot, qui à la suite du plan Freycinet, avait établi une usine dans le Nord de la France, à Isbergues, non loin du bassin minier du Pas de Calais et à l’intersection de la voie de chemin de fer Paris-Dunkerque et du Canal d’Aire à la Bassée. Il avait obtenu un contrat de 10 ans pour remplacer les rails usagés de la compagnie de Chemin de Fer d’Orléans. A la mort du fondateur, la présidence du groupe est confiée en 1905 au directeur d’un Cie minière proche, celle de Béthune qui obtient ainsi un débouché pour son coke métallurgique. Après la guerre les Aciéries de France ne retrouvent plus de débouchés, le groupe subit une perte de leur valeur boursière qui en fait une proie facile pour une prise de contrôle dans laquelle se lance la Cie de Châtillon Commentry neuves maisons. L’offre d’achat de la cible est réalisée dans un contexte de gouvernance de la cible particulièrement fragilisée, après la mort de son président. De plus, à un moment sous la pression des fournisseurs qui ne peuvent être payés, l’offre de rachat apparaît comme le seul moyen pour sortir de la crise. Après la crise vers 1934, une ligne de production d’acier pour l’automobile est lancée à Isbergues grâce à la coopération avec l’américain American Rolling Mill corporation (ARMCO). Les données comptables montrent la perte de part de marché de Neuves Maisons par rapport à Isbergues à la fin des années 1930.
DISCUSSION
Vivement applaudie, la communication de Madame Petit-Konczyk est suivie d’une longue discussion dans laquelle interviennent Mme Odile Louage, M. Frédéric Faucon, M. Pierre Pouchain, M. Luc Deleplanque, M. Michel Tomasek, M. Dominique Delgrange, M. Philippe Marchand. Sont notamment abordées les questions du rôle des mutations technologiques dans le développement et les délocalisations successives du noyau initial, de la formation de la main d’œuvre, des produits, de l’actionnariat...
PUBLICATIONS
Ouvrage
Charles de Kerchove de Denterghem, L’industrie belge pendant l’occupation allemande, 1914-1918, Mis en contexte par Jean Heuclin & Didier Terrier, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2013, 314 p.
Cet ouvrage publié initialement aux Presses Universitaires de France en 1927 présente un grand intérêt pour la connaissance de la vie économique dans les territoires occupés pendant la Première Guerre mondiale. Il fera l’objet d’une présentation par ses auteurs lors d’une de nos séances de l’année 2013-2014.
Tirés à part
Christiane LESAGE, « Regards sur un quartier lillois », Lille simplement Bulletin de l’association Les Amis de Lille, n° 2, décembre 2011, p. 45-56
Christiane LESAGE, « Un vestige du vieux Saint-Sauveur va disparaître. La rue du Bois Saint-Sauveur », Lille simplement Bulletin de l’association Les Amis de Lille, n° 3, décembre 2012, p. 35-40
Revues
Bulletin du Comité Flamand de France, n° 97, février 2013
Gérard DECRETON, « La dure vie d’un village des Flandres au XVIIIe siècle : Pitgam » (Publication de notes portées annuellement à la fin des actes de 1737 à 1775).
Etienne DELAHAYE, « À propos d’une correspondance »
Raymond SELLIER, « La seigneurie du bois de Nieppe et château de La Motte-au-Bois et les douairières de Flandre (3) – Jeanne de Bretagne »
Jean-Pascal VANHOVE, « Gustave Lhotte, le journaliste lillois devenu sous-préfet d’Hazebrouck »
Jean-Pascal VANHOVE, « In het zand geschreven » une » histoire des dunes du Westhoek »
« Marie-Flore COCQ, « Un patrimoine caché : Alexandre, Apelle et Campaspe en pleine lumière au musée des Augustins d’Hazebrouck »
Le fil du temps. Société d’Histoire de Mouscron et de la région, n° 13, décembre 2009
Claude DEPAUW, « La Société d’Histoire de Mouscron et de la région de 2007 à 2009»
Claude DEPAUW, « La vente publique des meubles de feu Laurent Leveugle le 13 mai 1643 »
Claude DEPAUW, « La mort à Mouscron, 1680-1737. Approche démographique »
Jean DEROUBAIX, « Louis Bonte, bourgmestre d’Herseaux (1864-1896). Sa longévité politique et les tribulations de son portrait »
Michel DEVOS, « Ascendance de Jules Courcelles (Dottignies 1884 – Léopoldville 1945) »
Jean DEROUBAIX, « Les chapelles d’Herseaux »
Jean DEROUBAIX, « Quelques crimes à Herseaux »
EXPOSITIONS
Au Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis, du 9 mars au 9 juin, exposition Matisse, la couleur découpée
Cette exposition est organisée à l’occasion de l’exceptionnelle donation faite par la famille Matisse de 443 éléments en papiers gouachés découpés non utilisés dans l’œuvre d’Henri Matisse.
Au Musée de la Chartreuse de Douai, du 23 mars au 8 juillet 2013 : Albert Bouquillon (1908-1997). L’évolution figurative
Né à Douai le 18 août 1908 à Douai et décédé dans cette ville le 17 janvier 1997, Albert Bouquillon a suivi des cours de dessin, de peinture, de sculpture et d’architecture à l’Ecole des Beaux-Arts de Douai. Reçu à l’Ecole nationale des Beaux-Arts, il s’oriente vers la sculpture. Grand prix de Rome, il a laissé une œuvre importante.
Au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, du 12 avril au 16 septembre 2013 : Aux origines de Valenciennes La ville antique de Famars
L’exposition proposée par le Musée des Beaux-Arts de Valenciennes en collaboration avec le Service archéologique de la ville, l’IONRAP et Valenciennes Métropole réunit pour la première fois l’ensemble des objets trouvés à Famars depuis le XVIIe siècle jusqu’aux fouilles récentes de 2011 toujours en cours. Elle s’attache à montrer la vie quotidienne des habitants de Famars de la fin du Ier siècle jusqu’au début du IVe siècle apr. J.-C. Elle insiste sur les différentes activités artisanales développées dans l’agglomération dont de nombreux indices ont été découverts lors des fouilles récentes.
INFORMATIONS
Conférence aux Archives municipales de Lille
Le 14 mars 2013, les Archives municipales de Lille ont organisé une conférence Historiens et archivistes, complices pour faire connaître l’histoire d’un territoire. Cette manifestation invitait à réfléchir à la complémentarité qui doit exister entre historiens et archivistes même si leurs objectifs sont parfois différents. Trois intervenants ont successivement pris la parole.
Alain LOTTIN, « Du registre 12 120 des Archives municipales de Lille à une analyse de la délinquance et de la criminalité à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle dans la Gouvernance de Lille : la démarche de l’historien moderniste »
Matthieu de OLIVEIRA, « L’exploration des sources par l’historien contemporanéiste est-elle différente »
Matthieu de OLIVEIRA, « Archivistes et historiens, professionnels complémentaires aux visées parfois différentes »
Claire-Marie GROSCLAUDE, « Les archivistes de Lille, passeurs de sources »
Les interventions ont été suivies d’une visite des Archives municipales.
Chemin transfrontalier Euro Piat
Un chemin transfrontalier a relié pendant des siècles Tournai, Bouvines et Seclin traversant le Tournaisis, la Pévèle et le Mélantois. Ce chemin appelé parfois chemin de Bouvines, chemin de Tournai ou chemin de Sain-Piat aurait, selon la légende, été emprunté au XIIIe siècle par Saint-Piat. En parcourant ce chemin, le promeneur découvrira les paysages et les monuments typiques de ces trois régions.
On peut se procurer un guide à l’Office de Tourisme de Bouvines.
Nous avons reçu de la part du Musée de Folklore de Mouscron une plaquette éditée à l’occasion de la 24e édition des Journées du Patrimoine, 8 et 9 septembre 2012. Le thème retenu était « Visite historique de personnalités internationales à Mouscron ». Richement illustrée, cette plaquette nous présente divers moment de l’histoire de Mouscron : la visite de Charles roi de Castille, futur Charles Quint, l’aménagement des lignes de fortification de Louis XIV, le combat de Mouscron en 1794, l’échauffourée du »Risquons-Tout » de 1848....
M. François-Xavier Boniface a fait don aux Archives départementales du Nord d’un ensemble de documents, fruits de ses travaux érudits en matière d’héraldique :
dix casiers de fiches d’identification d’armoiries classées par « pièces et meubles » (de A à Z) ;
deux casiers de fiches « Châtellenie de Lille » (classement onomastique )
un ensemble de classeurs « Artois, Cambrai, Flandre, Hainaut... » contenant de nombreux dessins, images et photos ;
un autre ensemble du même type « familles lilloises »
Cet ensemble documentaire est à consultation limitée aussi longtemps qu’il ne sera pas indexé. Il est le fruit d’un travail exceptionnel par son ampleur et sa précision. Il est d’autant plus intéressant qu’un certain nombre de petits monuments photographiés ont pu être détruits. Ce don permet encore une fois de souligner un travail très méritoire d’un membre de la Commission historique du Nord.
IN MEMORIAM
RENÉ FAILLE
Décédé le 14 mars 2013 à l’âge de 91 ans, René Faille était entré à la Commission Historique du Nord en 1951. Il en était le plus ancien membre. Il y avait présenté plusieurs communications :
« La Flandre, le Hainaut et l’Artois au début du 18e siècle d’après les ingénieurs géographes Masse », Bulletin de la Commission Historique du Nord, t. XLI, 1977, p. 119-152.
« Documents nouveaux sur l’accident et la maladie de Fénelon », Bulletin de la Commission Historique du Nord, t. XLVII, 1993, p. 65-96.
«Travaux à la citadelle de Cambrai en 1591, 1609 et 1623 », Bulletin de la Commission Historique du Nord, t. XLVI, p. 53-84.
Érudit, historien de la ville de Cambrai, donateur du « Fonds René Faille » à la Médiathèque de Cambrai, René Faille avait contribué à l’enrichissement de la bibliothèque et du fonds de documents originaux de la Commission Historique du Nord. Depuis quelques années, René Faille, parti s’installer dans la région parisienne, puis revenu à Cambrai, n’assistait plus à nos réunions. Il continuait cependant de s’intéresser à nos activités et d’enrichir notre fonds.
ANDRÉ MERCK
Nous apprenons le décès d’André Merck dans sa 92e année. André Merck était entré à la Commission Historique du Nord en 1982. IL y avait présenté une communication consacrée à « Pierre-Antoine Herwyn d’Hondschoote, un révolutionnaire modéré ». Un long résumé de son intervention avait été publié dans le tome XLVI du bulletin (p. 151-152).
En mai 2003, lors de la journée foraine de la Commission historique à Dunkerque, André Merck nous avait fait visiter le navire Princess Elisabeth qui a participé à l’opération Dynamo (Mai 1940) évacuant quelques 1763 soldats anglais et français. Il nous avait conté avec beaucoup de détails pittoresques les péripéties de ce fait d’armes.
Ancien ingénieur à la Normed, passionné d’histoire, André Merck avait publié de nombreux ouvrages consacrés à l’histoire de Dunkerque, à l’histoire des AcF et à l’histoire de la Chambre de commerce et d’industrie de cette ville. Depuis quelques années, André Merck ne pouvait plus assister à nos réunions mais se tenait toujours informé de nos activités.